Cinq ans après Grave, Julia Ducournau lâche une bombe sur la Croisette. Vraiment ?
À la sortie de la projection du dernier film de Julia Ducournau, la presse a filmé des spectateurs choqués. Mais on ne peut pas vraiment dire que Titane vienne ébranler le paysage du cinéma français. Plus propre, plus technique et maîtrisé que Grave, il est aussi moins troublant, moins intéressant.
Titane s’ouvre sur un dérapage. Dans un paysage brumeux, une voiture file sur l’autoroute. Au volant, un père interprété par Bertrand Bonnello, les nerfs à vif. À l’arrière, sa fille ne tient pas en place. Le public averti tremble déjà. Le véhicule s’enfonce dans la rambarde de sécurité. Blessée, Alexia (Agathe Rousselle) est sauvée par la pose d’un implant en titane dans son crâne. Une petite plaque de métal autour de laquelle se dessinent les contours d’une cervelle animale. On la retrouve dix ans plus tard. Elle est danseuse dans un salon automobile.Chez son père, elle occupe encore la place d’une ado en crise. Androgyne, percée, tatouée, un bout du crâne rasé, son style s’articule autour de son implant, fascinant et dégoûtant…

En jouant avec de nombreuses références à Cronenberg, Ducournau réévalue aussi les codes de la « possession », toujours présente dans les films d’horreur. Alexia est rongée par un corps étranger, le titane, résidu d’un traumatisme. Pour exulter, elle tue en série, sauvagement et gratuitement. La souffrance et la distorsion des corps est filmée de près. On retrouve le gore façon série B qui rythmait Grave. Comme Justine, Alexia est en proie à des pulsions sanglantes et sexuelles. En refoulant leurs désirs proprement féminins elles se retrouvent prises au piège, figées dans une identité discordante. Elles s’accompliront par le passage à l’acte violent, la transgression.
« Je voulais faire sentir que la féminité était elle-même une forme d’hybridité, qu’on pouvait finalement se créer soi-même, comme on le souhaite. » Julia Ducournau


Titane ©KazakProductions Grave ©WildBunch
Dans cette première partie du film, Julia Ducournau distille l’angoisse avec virtuosité. Elle plonge le spectateur dans un réel, familier, et pourtant étranger, inquiétant. Tout ressemble à ce que l’on connaît mais rien n’est à sa place. À commencer par la notion de genre, sans cesse en question. Comédie, horreur ou drame ? Homme, femme ou créature ? Le spectateur est plongé dans un sentiment constant d’insécurité, au bord du pire … Cette tension permanente est brillamment réalisée. Les jeux de sons et de lumière rythment l’angoisse montante. Un équilibre s’installe entre le suggestif et l’horreur absolue. Julia Ducournau maîtrise le suspense.
Dans sa deuxième partie, le film s’égare. C’est comme si deux oeuvres tentaient de cohabiter en une. Recherchée par la police, Alexia prend la fuite. Pour ne pas être reconnue, elle se travestit. Elle casse son nez sur le coin d’un lavabo, bande sa poitrine, rase son crâne. Dans sa cavale, elle croise la route d’un père ( Vincent Lindon) qui pleure la disparition de son fils, 10 ans plus tôt. Alexia devient Adrien. Elle prend la place d’un fils absent. Elle simule le retour du fils prodigue. Très vite, sa véritable identité devient difficile à déguiser : elle est enceinte. Mais la chose qui pousse en elle est un autre mal qui la dévore de l’intérieur.
Elle n’en est qu’à son deuxième film, mais Ducournau fait déjà du Ducournau. Son premier film constituait une rupture avec le cinéma contemporain. Son second surfe sur la vague du « body horror », il ressemble à un pur produit de la pop culture actuelle. Le cinéma de genre se gentrifie.
Emma Lichtenstein