
Un mois après la rentrée, en pleine semaine du Grand 8 (le festival annuel de la fac), entre les mesures de sécurité accrues et l’interminable nettoyage du campus, la présidence semble plus que jamais œuvrer d’arrache-pied pour redorer l’image de Paris 8.
Et pour cause, le blocus par la mobilisation contre la loi O.R.E et l’occupation du bâtiment A par des exilé.e.s l’année universitaire passée semble avoir été l’occasion d’un intense bras de fer entre la direction et les étudiant.e.s mobilisé.e.s. Une attitude jugée indigne par ces dernier.e.s et qui semble s’inscrire dans le climat national et institutionnel de répression des mouvements sociaux.
Le 26 juin dernier, la présidence mettait fin aux mois d’occupation et de négociations épineuses en ordonnant une intervention policière. Depuis, la présidente elle-même, qui soutient par ailleurs la plateforme ParcourSup, n’a cessé d’insister sur les grands moyens employés pour la réparation du campus de Saint-Denis, dont les travaux ont eu lieu tout l’été. Ce qui est perçu comme une autre manière d’entacher la mobilisation étudiante.
On a beaucoup parlé de l’état matériel de l’université pendant et après le blocage ; portes brisées, graffitis, ascenseurs H.S, toilettes insalubres… Pourtant la direction de la fac s’est toujours gardé de dénoncer l’état précaire du campus en temps normal. En réalité les étudiant.e.s n’ont pas eu à attendre le blocus pour être dans un environnement délétère. Pourtant, le chiffre attribué au montant du coût des travaux s’est publiquement élevé à 1 million d’euros. S’agit-il alors encore d’une technique de communication qui participe à la culpabilisation ainsi qu’à la criminalisation des étudiant.e.s mobilisé.e.s ?
Il est évident que les mois de luttes et d’occupation ont laissé des stigmates, mais alors lesquels ? Qu’est-ce que l’université tente de dissimuler avec ces litres de peinture et ces rideaux métalliques ? À l’heure où des conférences et autres rétrospectives sur les contestations de Mai 68 et la naissance de Paris 8 rythment la programmation du Grand 8, comment expliquer que la présidence tienne tant à étouffer les revendications actuelles de la jeunesse mobilisée ?
Retour en photo sur quelques traces d’un mouvement politique spontané qui dérange toujours.
Le blocage est certes, un mode d’action subversif. Il invite à enfreindre la loi et à compromettre l’ordre d’un établissement public. Il est aussi imposé, et impacte l’ensemble de la population qui le fréquente. Cependant l’établissement était bloqué mais l’occupation fut ouverte à tout.e.s. Sous l’action du comité de mobilisation de Paris 8, tout le long de la période de grève, des cours alternatifs, conférences, débats, projections et moments de fête participaient à faire vivre la fac bloquée. Il s’agissait surtout de repenser l’institution universitaire, et d’aller à contre-sens des réformes gouvernementales.

L’ouverture de la fac occupée passe aussi par une tolérance inédite. Les communautés opprimées dans leur totalité, qu’il s’agisse des femmes, des réfugié.e.s, des populations racisées, LGBT ou précaires ont joué dans la fac occupée un rôle central. Alors qu’ils et elles ne sont que peu représenté.e.s à l’échelle nationale, l’occupation leur a conférer un premier lieu où leur parole pèse. Beaucoup sont de ceux qui décrivent une atmosphère et un « sentiment de liberté nouveau » dans le campus de Saint-Denis sous le blocus. De plus, la tradition selon laquelle la police n’entre pas dans les universités faisait de Paris 8 un endroit libre où chaque groupe pouvait penser et organiser pleinement sa lutte sans crainte d’être surveillé ou pris à partie.


Les tags et autres réappropriations visuelles des espaces publics sont souvent mal compris. Alors que le discours médiatique et dominant s’acharne sur une dégradation matérielle soit-disant inexcusable, il est judicieux de garder en tête que le campus de Saint-Denis présente depuis de nombreuses années un état délétère. Face à l’incontournable manque de moyen qui confère depuis tant d’années une lamentable réputation pour la fac, il est difficile de considérer des graffitis sur les murs comme une dégradation catastrophique.
Les tags consistent en revanche en une prise de parole spontanée et font la plupart du temps l’objet de revendications idéologiques et politiques qu’il faudrait tacher d’entendre.

Le mouvement étudiant contre la loi O.R.E a été largement médiatisé durant les mois d’avril et mai. Cependant, l’attention semblait se porter majoritairement sur le blocage des facs parisiennes. Alors que les sites de Tolbiac ou de Paris 3 ont fait couler l’encre et attiré une large population de sympathisants, Paris 8, située à Saint-Denis (93) et au bout de la pénible ligne 13 semblait oubliée.
Face au « parisiano-centrisme » du mouvement, l’Université Paris 8 a confirmé sa place de fer de lance de la lutte des banlieues. Une fois de plus en France, les quartiers populaires se sont senti exclus dans un contexte de mouvement national. Cette position de représentant des problématiques de la banlieue a conféré à la fac de Saint-Denis, composé par ailleurs en grande majorité par des étudiants précaires, l’opportunité de devenir un espace de discussion et de débat à la pointe des questions anti-racistes, de genre et migratoires.

La loi O.R.E est accusée d’instaurer une sélection générale pour l’entrée à l’université. Né du mouvement de Mai 68, l’université Paris 8 était jusque là l’une des seules en France à accepter largement chaque étudiant.e. Une personne non titulaire du bac, sans papier ou sans domicile fixe pouvait s’inscrire à Paris 8 et suivre les cours. Ce principe a longtemps offert à l’université une mixité sociale très riche et a ainsi encouragé une ouverture d’esprit générale, y compris dans les enseignements qui y sont donnés.
Il était cependant en passe de disparaître dès la rentrée 2018. L’arrivée de Parcoursup force la pratique d’une sélection sans que les établissements reçoivent les moyens nécessaire à son bon déroulement. La finalité tend évidemment à privilégier les résultats scolaires et les critères sociaux comme principaux critères de sélection.
Or, chacun sait que les populations précaires et les minorités ethniques sont, par de nombreuses raisons, plus encline à l’échec scolaire tel qu’il est établi par le système éducatif actuel. Imposer une sélection à l’université contribue sans doute à l’exacerbation des inégalités, et progressivement à la fermeture de l’institution aux populations opprimées. On le voit dès maintenant avec les chiffres des étudiant.e.s “sans-fac”, bien plus importants en banlieue, et notamment dans le 93.

Le mouvement a fait l’objet d’une répression policière sévère et violente, confortée par les positions condescendantes du gouvernement et les déclarations mensongères du président Emmanuel Macron. Il a aussi été l’occasion pour beaucoup de jeunes de faire face à un nouveau rapport aux institutions, notamment la police.
Motivée par la présence de populations particulièrement soumises au bavures policières et au harcèlement policier (minorités ethniques et personnes précaires vivants dans les quartiers négligés), une vision de la police comme organe violent de protection d’un ordre social raciste et discriminatoire est partagée. Lorsque de simples rassemblements et débats entre étudiant.e.s ont été violemment réprimés par la police, beaucoup d’étudiants ont à leur tour, commencé à considérer la société française comme proche d’un état policier. Lors d’une assemblée générale du mouvement le 10 mai à la fac, un agent des renseignements généraux a même été intercepté en train de récolter des informations dans la foule.
Le blocage a aussi et surtout permis de sensibiliser un grand nombre d’étudiant.e.s sur des questions politiques profondes et qui invitent à remettre en cause l’état actuel des choses. Il a été un vivier de jeunes manifestants, prenant part aux différents modes d’actions. Le cortège de Paris 8 se formait souvent dans le campus de Saint-Denis, pour ensuite rejoindre les protestations parisiennes.
Là où la présidence aurait pu soutenir l’énergie de cette mobilisation et renforcer l’identité contestataire de Paris 8 – par ailleurs tant chère à beaucoup de ses étudiant.e.s – il est regrettable de voir qu’elle choisisse une fois de plus de courber l’échine et préfère participer à nourrir l’imaginaire commun fantasmé de Mai 68.